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À la découverte de...Les Étapes de Jacques Bonhomme

En 1905, William Laparra donne son tableau aux ouvriers de la Verrerie ouvrière d’Albi qui l’installent dans la salle d’honneur de l’usine. Le Département acquiert le bâtiment en 1988, mais le tableau, qui demeure propriété de la VOA, y reste déposé. L’œuvre est classée au titre des monuments historiques en 1999.

En 2016, le bâtiment devant être modernisé, il est décidé d’exposer le triptyque dans la salle de lecture des Archives départementales, construites en 2005 dans l’enceinte de l’ancienne VOA.

Comprendre le tableau

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Jacques Bonhomme

Le personnage de Jacques Bonhomme incarne le peuple révolté depuis le Moyen Age. Le chef de l’insurrection populaire, la grande Jacquerie du printemps 1358, qui flambe de la Normandie à la Champagne s’appelle en fait Guillaume Caillet, ou Callet, ou Cale, mais Jacques était certainement dans ces régions le prénom le plus commun ; il a également servi à désigner la tunique courte matelassée (la « jacque », qui a donné la « jaquette ») que ces paysans portaient en guise de haubert.

La Guerre de Cent Ans commence en 1337, la grande peste apparaît en 1348 et la noblesse, honteusement battue à Crécy (1346) et surtout à Poitiers (1356), est déconsidérée. Le roi Jean le Bon et de nombreux chevaliers sont prisonniers en Angleterre, les impôts s’abattent sur les villes et sur le plat pays pour payer les rançons. Les bourgeois de Paris se révoltent également sous la conduite du prévôt des marchands Étienne Marcel qui favorise la révolte populaire avant de se retourner contre elle. Les paysans isolés et inexpérimentés sont vite massacrés, mais ce terme de Jacques restera pour désigner de façon péjorative les vilains, les serfs, le pauvre peuple écrasé de taxes, de vexation et de morgue par les seigneurs.

Cette proto-lutte des classes avait été rappelée dans le courant du XIXe siècle par les écrivains romantiques (Augustin Thierry, Michelet…). L’historien Siméon Luce (qui avait également beaucoup travaillé sur cette autre héroïne populaire du siècle suivant, Jeanne d’Arc) a publié sa thèse d’École des Chartes sur le sujet dès 1859, rééditée en 1894. Adolphe Maujan, élu parisien radical, avait en 1887 fait jouer un drame en cinq actes intitulé « Jacques Bonhomme » qui a pu ranimer l’intérêt pour ce personnage. La pièce semble avoir fait un four à sa création, mais elle est reprise après 1905 au théâtre antique de la nature de Champigny-sur-Marne, comme en témoignent des cartes postales. Si ce drame a inspiré notre triptyque, ce n’est assurément que dans son premier volet qui évoque le soulèvement de la paysannerie affamée. Ce passage en résume l’esprit : « S’il venait une heure où les vilains, où les serfs, où tous les désespérés de la glèbe se levaient terribles, renversant les gibets et les fourches patibulaires, condamnant les bourreaux, écrasant les donjons et demandant enfin compte à leurs oppresseurs de six siècles de misère ! »

William Julien Emile Edouard Laparra

La famille

William Julien Émile Édouard Laparra naît le 25 novembre 1873 à Bordeaux dans une famille riche et cultivée. Son père, Joseph Édouard, surnommé « le Seigneur », est un gros importateur d’épices et sa mère Marguerite Élodie Mollo (1843–1910), la « Mamma », descend de fondeurs de cloches piémontais. Les Laparra sont originaires du Cantal, le père d’Édouard étant maire d’Omps, et entretiennent une légende familiale selon laquelle leurs aïeux seraient espagnols : un ancêtre, ingénieur du roi, émule de Vauban, aurait été fait chevalier de Saint-Louis par Louis XIV et aurait émigré en France. Louis de Laparra de Fieux (Arpajon, 1651-Barcelone, 1706) a bien été ingénieur militaire, mais il n’était nullement espagnol, étant originaire d’une vielle famille noble des confins de la Haute-Auvergne et du Rouergue. Quant aux ancêtres de William Laparra, ils semblent originaires depuis au moins la fin du 16e siècle de Saint-Cernin et de Freix-Anglars. Il est amusant de constater qu’ils cousinent avec Marie Laparra, l’arrière-grand-mère maternelle de Jean Eugène Bois, le beau-père de Jean Jaurès.

William a quatre frères et deux sœurs :

  • Émile (1868–1928), avocat à Bordeaux, franc-maçon, président des Auvergnats de Bordeaux et animateur d’un grand nombre d’associations culturelles et philanthropiques ;
  • Raoul (1876–1943), compositeur de musique, grand prix de Rome en 1903, auteur d’opéra (La Habanera, 1908, La Jota, 1911, L’illustre Fregona, 1929), très influencé par la musique espagnole ;
  • Édouard (1877–1951), violon solo au concert Colonne ;
  • Daniel (1879–1954) médecin à Bussang (Vosges) puis à Biarritz ;
  • Marguerite (1883–1946) a épousé un notaire de Limoges, Me Jean Marie Martial Coiffe ;
  • Marie-Louise (1885–1940), malade, restée célibataire.

Il épouse le 27 décembre 1902 à Paris (8e) Wanda Landowska (Paris, 12 août 1879-Paris, 26 mai 1904), musicienne, entrant ainsi dans toute une famille d’artistes : il l’a connu par son frère Paul Landowski (1875–1961), son camarade à Rome, qui sera parmi les sculpteurs les plus célèbres du 20e siècle 

Wanda Landowska-Laparra, meurt hélas en couches, avec l’enfant qu’elle attendait, le 26 mai 1904 à Paris. William Laparra en gardera toute sa vie une plaie cruelle et une humeur sombre qui transparaît à l’évidence dans le triptyque qu’il peint l’année suivante. Celui-ci se remarie le 14 septembre 1908 à Saint-Jean-de-Luz avec Fanny Céline Bertrand, née le 22 avril 1889 à Paris, 6e, fille du grand savant Marcel Alexandre Bertrand (1847–1907), professeur de géologie à l’École des Mines, théoricien de la tectonique et grand spécialiste de la formation des Alpes. Leur fils Jacques Olivier, né à Paris en 1910, mourra à 30 ans en 1940. William Laparra meurt brutalement dans la vallée de Hecho (Haut-Aragon) le 5 septembre 1920. On parle d’intoxication alimentaire, sans exclure qu’il se soit laissé mourir. Son corps n’est rapatrié à Bordeaux que 6 ans après.

Vie et œuvre

Après de bonnes études au lycée de Bordeaux, il entre à l’école de dessin. Ses succès lui gagnent une bourse municipale pour « monter » à Paris en 1892, afin de préparer à l’Académie Jullian le concours d’entrée de l’École nationale des Beaux-Arts, qu’il intègre en 1893. Il est élève de Tony Robert-Fleury, de Jules Lefebvre, son maître préféré, qui est témoin à son mariage, et de William Bouguereau. Dès 1897, il découvre l’Espagne avec son frère Raoul et les paysages, les hommes et l’art de ce pays qu’ils croient être celui de leurs ancêtres, les marquent très profondément. Après trois tentatives et son service militaire, il obtient , avec La Piscine de Bethsaïda, le deuxième Premier grand Prix de Rome en 1898, ce qui lui ouvre pour 3 ans les portes de l’Académie de France à Rome (1899–1902).
Son dernier envoi de Rome en 1901 est un triptyque, Job et ses ami (dépôt de l’État au musée des Beaux-Arts de Nantes), qui montre la forte influence de la peinture espagnole du 17e siècle sur son inspiration.

Verrerie Ouvrière d’Albi

Contexte historique de l’œuvre

William Laparra présente cette œuvre engagée au salon des artistes français au printemps 1905. La signature portée en bas à droite du triptyque confirme cette datation.
Il est probable qu’il passe à Albi à ce moment-là et qu’il rencontre les verriers. Le livre d’or de l’Hostellerie Saint-Antoine, restaurant tenu par Émile Rieux, comporte une carte postale du triptyque, envoyée de Rome par l’artiste le 29 mai 1905, avec cette indication manuscrite « Triptyque décoratif pour la Verrerie ouvrière d’Albi. A Monsieur Rieux pour son « livre d’or » avec mon meilleur souvenir ». Le livre d’or lui-même est également signé par William Laparra et l’on peut imaginer qu’il l’a signé à l’avance antérieurement, promettant à l’hôtelier de lui envoyer une carte postale.

Le Cri des Travailleurs, journal socialiste du Tarn, du 15 octobre 1905, n° 396, nous révèle qu’il est d’ores et déjà placé dans la grande salle du Syndicat des verriers et similaires d’Albi et évoque les conditions du don.

« Nous apprenons avec plaisir qu’un peintre de talent, William Lapparat (sic), vient de faire don à la Verrerie ouvrière de son tableau Les Étapes de Jacques Bonhomme, dont le titre est significatif. Ce tableau dont les épreuves 51×72 seront tirées et distribuées lors de l’inauguration, mesure neuf mètres de longueur, quatre de hauteur ; il est placé dans la grande salle du Syndicat des verriers et similaires d’Albi. Il est temps, dit l’artiste, que l’art qui jusqu’ici n’a été que la propriété des riches et des oisifs, devienne celle des travailleurs »

Dans la nécrologie consacrée à son ami William Laparra, en 1920, Célestin Bouglé, nous révèle un point important : l’œuvre n’a pas été composée pour la Verrerie et en pensant à elle :
« Quand l’œuvre fut achevée, Laparra me fit l’honneur de me consulter pour savoir à qui la donner, et je lui suggérai la Verrerie ouvrière. Les ouvriers d’Albi sont fiers, je le sais, de ce don magnifique ; ils le conservent avec un soin pieux, et s’ils remportent encore des victoires, ils ne manqueront pas d’ajouter un laurier au cadre de l’œuvre symbolique auquel ils ont dû, ces jours-ci, attacher un crêpe. »

William Laparra revient forcément à Albi le 22 octobre 1906, puisqu’il signe ce jour-là chez le notaire Léon Frezouls l’acte authentique de donation « d’un tableau en forme de triptyque désigné sous le nom de « Étapes de Jacques Bonhomme », qui « est actuellement placé dans les bâtiments de la Verrerie ouvrière à Albi salle de réunion des syndicats. »

L’acte se poursuit ainsi :

« Cette donation est faite à la Verrerie ouvrière en tant qu’œuvre socialiste collectiviste. Elle est soumise à la condition expresse que la Verrerie ouvrière conservera ce caractère et ne se transformera pas en une entreprise individualiste. Il est en outre entendu que le triptyque faisant l’objet du présent acte ne pourra être ni vendu ni échangé par la société anonyme de la Verrerie ouvrière. Si par un fait quelconque ou par une suite de faits et de décisions la Verrerie ouvrière cesse d’appartenir exclusivement aux organisations syndicales ou coopératives socialistes, ou à des organisations analogues ou encore à l’État socialiste, ou encore simplement en cas de liquidation, la présente donation sera nulle et non avenue et M. Laparra ou ses ayant droit pourront en demander la révocation. »

Plus question donc, de don « à une œuvre coopérative, telle que le Vooruit, de Gand », comme évoqué en octobre 1905 dans le Cri des travailleurs, mais affirmation très claire d’un engagement socialiste assumé.

La restauration du triptyque

En 1905, William Laparra donne son tableau aux ouvriers de la Verrerie ouvrière d’Albi qui l’installent dans la salle d’honneur de l’usine. Le département acquiert le bâtiment en 1988, mais le tableau, qui demeure propriété de la VOA, y reste déposé. L’œuvre est classée au titre des monuments historiques en 1999.

En 2016, le bâtiment devant être modernisé, il est décidé d’exposer le triptyque dans la salle de lecture des Archives départementales, construites en 2005 dans l’enceinte de l’ancienne VOA. L’œuvre restera ainsi dans le site qui l’abrite depuis 1905, et trouvera un cadre adapté à sa taille (8,50 m de large sur 4 m de haut). Les travaux de déplacement et de restauration sont pris en charge par le département du Tarn, avec l’aide financière de la Verrerie ouvrière et de la DRAC Occitanie, sous le contrôle de cette dernière.

Les restaurateurs, Hélène Garcia et Olivier Clérin, spécialistes de peintures, et Jean-Michel Parrot, spécialiste de mobiliers en bois, démontent le tableau pour étude avant de le transporter dans leurs ateliers. Pour cela les toiles sont conditionnées sur rouleaux. Le sens de roulage a été déterminé de façon à ne pas contrarier les craquelures. Après un dépoussiérage complet, l’étude et la restauration ont permis d’entrer au cœur des tableaux et de faire des découvertes.

Au revers de la toile de gauche, une citation écrite à la mine graphite se détache : « Pauvre peuple, Jacques Bonhomme, On t’abuse, mon ami » Camille Desmoulins, le Vieux Cordelier, 1er avril 1794. Les bords extérieurs des toiles, qui étaient repliés sur les châssis, présentent les traces des esquisses exécutées librement à la craie grasse noire et à la peinture bleue. Avant de peindre, Laparra avait reporté ses dessins préparatoires par une mise au carreau visible sur les bords de tension. Les châssis en résineux et le cadre en hêtre, particulièrement attaqué par les insectes, sont traités. Les couvre-joints d’origine sont aussi démontés. La structure du cadre est révisée et restaurée : elle présentait une déformation en partie basse.  Les toiles n’avaient jamais été restaurées depuis 1905 et demandaient un décrassage complet. La toile de droite montre une reprise de la couleur par le peintre une fois le tableau encadré : l’application d’un jus brun dans la moitié inférieure gauche qui ne s’observe pas sous le couvre-joint. Les trois toiles présentaient des altérations similaires sur lesquelles ont travaillé les restaurateurs : déchirures et trous dans la toile, lacunes de peinture, chanci, craquelures, soulèvements, taches.

Dans l’été 2018, les toiles ont retrouvé leur cadre restauré sur un nouveau support en hêtre. Les deux toiles latérales ont été livrées montées sur châssis, la toile centrale, elle, a été retendue sur place.

Crédits

Concepteur du projet

→ Archives départementales du Tarn

Création Application

Vent d’Autan - https://ventdautan.fr
05 63 81 02 00
1 Rue Alain Colas, 81000 Albi

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05.63.37.85.01
16 rue Mérigonde 81100 Castres

Voix off - http://lhqlt.sapate.fr
L’homme Qui Lit Tout
Jean Émile Roturier

Crédits photos

  • Laurent Galaup, Agence Vent d’Autan
  • Hélène Garcia et Olivier Clérin CRPA - Cité Guynemer, Longueville 81600 Gaillac
  • Jean-Michel Parrot -  Le Bourg 81440 Vénès
  • Médiathèque de l’architecture et du patrimoine - Fort de Saint-Cyr 78180 Montigny-le-Bretonneux
  • Agence photographique Réunion des Musées nationaux - 254 / 256 rue de Bercy 75577 Paris cedex 12
  • Musée des Beaux-Arts de Bordeaux - 20 Cours d’Albret, 33000 Bordeaux
  • Musée d’art et d’archéologie d’Aurillac -  Centre Pierre-Mendès-France 37, rue des Carmes 15000 Aurillac
  • Archives départementales du Tarn
  • Archives départementales du Val-de-Marne -  10, rue des Archives 94054 Créteil Cedex
  • M. Paul Lutyens
  • Bibliothèque nationale de France – Domaine public

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